C’est ce que j’ai entendu de la bouche d’un (important) routeur d’emails au salon Conext, fin octobre :

– Nous ne routons que vos propres adresses pour votre fidélisation, la prospection étant interdite par le RGPD (sic) »

– Ah bon, lui répondis-je ? Mais avant de fidéliser, il faut bien prospecter ? »

– Ça, vous le faites avec votre site… Entendez : confiez tout votre budget à Google et Facebook , votre SEO s’occupera de créer le trafic, puis vous venez chez nous pour fidéliser via l’emailing ».

Pour être clair, la prospection n’est nullement « interdite » par le RGPD. Ce routeur, menacé de fermeture pour cause de trop faible délivrabilité, s’est interdit lui-même de shooter sur des adresses qui ne seraient pas les clients de ses propres clients. Tant va la cruche à l’eau…

Carpet bombing

Notre eau, en l’occurrence, c’est le spam, à savoir des messages non sollicités, non ciblés et diffusés par la technique du carpet bombing. Puisque cela ne coûte quasiment rien pourquoi s’en priver ? Bombardons ! En 1945, pour toucher cinq gares de triage, les Alliés ont détruit à 90% la ville de Dresde. Objectif atteint… mais 37 000 morts au passage.
Lors d’une récente opération d’emailing à la performance, dont j’ai eu vent, l’envoi de 300 000 emails a généré 4 leads et une vente alors que dans le même temps 35 000 emails – relevant davantage du Bellota pata negra que du spiced ham – ont provoqué 30,5% de taux d’ouverture pour 23 leads et 8 ventes à 2 000 € pièce ! Une simple règle de trois nous démontre comment ceux qui, considérant qu’un fichier ciblé est bien trop cher, auraient balancé 2,4 millions d’emails non ciblés pour arriver au même résultat.

Ça, c’était avant le RGPD. Ce dernier a été accueilli avec une certaine appréhension par une très forte majorité des acteurs du numérique responsables de cette situation. Elle a posé moins de problèmes de conscience aux véadistes historiques d’autant plus à l’aise qu’ils respectaient déjà un environnement juridique cadré par la CNIL.

Mais cette redistribution des cartes offre aussi à ces e-commerçants dont les racines plongent dans la bonne vieille VPC une formidable opportunité car leurs méthodes de ciblage à eux s’apparentent plus à des frappes chirurgicales qu’au carpet bombing. En ce sens, elles sont bien plus efficaces et causent un minimum de dégâts collatéraux.

Et puis, aussi lu cet automne dans Les Echos :

La raréfaction des cookies rebat aujourd’hui les cartes des méthodes de ciblage (source : Les Echos, le 17 oct 2018)

La directive e-privacy, qui vise plus particulièrement à protéger la vie privée dans les communications électroniques, est aussi en train de changer sensiblement la donne dans le contexte RGPD. Actuellement, chaque opérateur d’un site est tenu, chacun séparément, de demander l’autorisation à son visiteur de tracer et marquer son parcours, page par page, afin de lui afficher des pubs soi-disant ciblées et distillées par des algorithmes. Cette directive e-privacy va permettre au consommateur de refuser en bloc toute forme de cookies dès la connexion. Et donc d’avoir la garantie d’accéder qu’aux sites exempts de mouchards. Pour ainsi dire : cramé le cookie !

Résultat des courses ? Le marché anticipe. Le volume des cookies est déjà en forte baisse (-32% selon certaines sources) et les budgets qui leur étaient consacrés vont faire l’objet de nouveaux arbitrages.

 

Cookie cramé? – Illustration : Marie Murris

Alors comment faire pour prospecter intelligemment ?

Il existe de multiples canaux non numériques qui n’exigent aucun consentement préalable : la télé, l’affichage, la presse, mais aussi le mailing postal, l’asile colis, et bien sûr le téléphone dès lors que les droits du consommateur sont respectés (information sur la finalité, droit d’opposition, Bloctel…).Ces canaux fonctionnent bien et perdurent, notamment auprès de personnes de plus de 75 ans, très faiblement utilisatrices d’Internet (40%). Mais cette fracture numérique due à l’âge glisse d’année en année vers le haut.

Pour ce qui touche les canaux digitaux, nous allons très rapidement connaître un enchérissement de la data de qualité. Nous sommes en train de passer de l’ère du Big Data à celle de la Smart Data. C’est le moment de se poser les bonnes questions.

Les conditions de survie de l’opt’in partenaire : le bon message, au bon moment et à la bonne personne

L’une de ces questions épineuses concerne l’emailing avec opt’in partenaire. La mise en œuvre de bases informant clairement lors de la collecte de la destination et de l’usage ultérieur de ces données par des tiers est sur la sellette. Les syndicats des métiers de la communication bataillent actuellement ferme avec la CNIL sur cette notion d’usage ultérieur , dans la mesure où il est impossible de connaître à l’avance dans le détail tous les futurs acteurs qui vont y avoir accès.
Avouons qu’il serait dommage que cette pratique nous soit interdite par la CNIL du fait de ces trop longues années de spam à outrance, maintenant que le marché commence à se réguler, et que les volumes commencent à baisser grâce à de meilleurs ciblages qui rendent désormais l’email bien moins intrusif.

Et c’est dans ce contexte qu’il y a un intérêt évident pour les e-commerçants à se poser la question si, au fond, les meilleurs partenaires ne seraient pas avant tout leurs pairs ? Et de se tourner vers eux plutôt que de dépenser des budgets de communication colossaux auprès des GAFAM. De tout temps, les entreprises de VPC ont échangé et loué leurs bonnes adresses à des confrères dès lors que ceux-ci n’opéraient pas sur des marchés concurrents. Et que la transaction était confiée à des tiers de confiance parfaitement neutres. Or, je constate que ce qui se faisait depuis la nuit des temps et qui a formidablement boosté la VPC (et la booste toujours), est quasiment inexistant dans le monde des pure players. Et pourquoi ? Parce qu’ils préfèrent faire confiance à Google plutôt qu’aux données hyper ciblées de leurs confrères, voire à leurs propres données qui pourraient être de formidables monnaies d’échange.

Au lieu de continuer à entretenir et à protéger nos propres places de marché virtuelles – bien de chez nous – la mode est de préférer en confier la gestion à Google, Amazon ou Facebook, trop content de nous diviser pour mieux régner.

Ouvrons les yeux et faisons preuve de clairvoyance ! Pourquoi chercher dans la botte de foin de Facebook ces fameux « personas », profils identiques à vos clients ? Ils pourraient parfaitement être identifiés dans le fichier clients d’un partenaire qui vous ressemble et vous être fournis par des sociétés françaises, tiers de confiance neutres et opérant en toute sécurité et confidentialité. Comment ne pas voir dans cette solution une réelle opportunité pour répondre aux besoins du consommateur qui en a marre des pubs hors sujet et qui s’équipe en adblockers et anti-spam ?

Et si, de surcroît, la loi venait à imposer de mentionner clairement l’origine de la donnée nominative, pourquoi ne pas transformer cette contrainte en une formidable opportunité pour bénéficier clairement de la recommandation du partenaire ? Prenez conscience que plus votre partenaire est le spécialiste de son marché, plus son fichier est ciblé pour vos produits et plus sa caution sera pertinente.

Trouver des alternatives aux Gafam (qui vont enfin payer leurs impôts en France ?), c’est opter pour l’écodiversité nécessaire à un marketing durable et raisonné, c’est ne pas laisser le contrôle de nos données dans un nuage, pardon un cloud, à quelques happy few, faute d’avoir su les partager équitablement entre nous.

Tous ceci pour vous illustrer l’une des 12 prédictions marketing pour 2019 du spécialiste des études de marché, Kantar :

#11Le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) permettra aux marques d’adopter des stratégies data plus sophistiquées.

Et si la sophistication était simplement d’utiliser ce qui a fait ses preuves dans la VAD, depuis la nuit des temps : considérer ses pairs e-commerçants comme de formidables partenaires et fournisseurs de données et non comme des concurrents ?

Sur ce, je vous souhaite une excellente fin d’année !

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